La semaine dernière, je vous faisais découvrir le premier tome de sa saga Borderline, aujourd’hui je vous propose de lire une passionnante interview de l’autrice autoéditée Zoë Hababou ! Il y sera question de ses romans, bien sûr, mais aussi d’ayahuasca, de liberté et de l’importance d’oser être soi. Bonne lecture ! 🙂
1. Bonjour, Zoë ! Merci d’avoir accepté de répondre à mes questions ! 🙂
Est-ce que tu peux te présenter rapidement pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore ?
Salut Anaïs ! Merci à toi pour cette interview, surtout.
Donc moi c’est Zoë, 33 ans, écrivain-voyageuse, blogueuse, et exploratrice de la conscience, principalement via la philo et le chamanisme. Dans le milieu littéraire, on me connait pour ma saga Borderline et mon blog Le Coin des Desperados. Ma vie alterne entre périodes où je taffe comme serveuse pour faire du fric, voyages au long cours en Amérique Latine, et phases intenses d’écriture frénétique !
2. Peux-tu nous raconter la genèse de la saga Borderline ?
Difficile de démêler l’enchevêtrement d’influences, d’expériences et d’idées qui ont finalement donné naissance à Borderline… J’ai toujours voulu être écrivain, et j’ai longuement tâtonné autour de thèmes pressentis comme majeurs avant qu’un film, et un personnage en particulier, mette le feu aux poudres : Taxi driver, et son fameux sociopathe solitaire, Travis Bickle, à l’origine du nom de mon anti-héros, Travis Montiano. Ce film a profondément changé mon rapport au monde, parce que je venais de rencontrer le personnage de mon livre. J’ai eu la vision de celui qui pourrait incarner la rage de vivre qui grondait en moi : un être hors-norme, hors-la-loi, hors du monde, un marginal qui n’a de place nulle part, parce que la liberté qu’il poursuit, pour laquelle il est prêt à tout sacrifier, même sa propre vie, est une bête vorace et insatiable, qui ne cesse jamais de l’entraîner vers ses ultimes retranchements… En chemin, beaucoup d’éléments sont venus se greffer, au fil de mes émois artistiques, de mes incursions philosophiques, et des expériences auxquelles mes voyages m’ont confrontée, apportant toujours plus de densité et de poids à un récit qui n’était de prime abord rien de plus que celui d’un jeune clodo, 28 ans, sur le point de se tuer, divaguant sur ses souvenirs et sa haine inassouvie. Une sœur jumelle, son amour et sa perte. Un centre de redressement pour mineurs, où on envoie les gosses récalcitrants, et d’où ils sortent plus fous et plus cruels qu’à leur entrée. L’expérience des limites, la toxicomanie, chemin inévitable pour celui qui cherche à détruire son conditionnement afin d’aller au-delà d’une vie d’automate, ce zombie qu’on nous pousse à devenir, mort à l’intérieur, et satisfait de son triste sort. Et pour finir, l’ayahuasca, qui a pris place dans l’univers de Travis sans que je le sente venir, transformant ce que je voyais comme un gros one-shot en saga fleuve, et approfondissant toujours plus ce récit initiatique, jusqu’à remettre en question mes propres certitudes, et la destinée de mon personnage… Bref, Borderline n’est pas un simple livre, j’ai grandi et évolué avec lui, et il a muté et s’est développé avec moi.
3. L’ayahuasca et ses transes sont au centre du récit de ton personnage principal, Travis. Pour ce faire, tu t’es inspirée de tes propres expériences. Peux-tu nous en parler ?
Et encore, t’as pas encore lu les tomes suivants… L’Ayahuasca devient un personnage à part entière dans la suite du récit ! Oui, je me suis inspirée de mes propres expériences, et ça commence dès le début, à partir de cette rencontre entre Travis et Wish, le chaman, à la toute fin du tome 1. D’ailleurs, le chaman de Borderline est tout simplement celui que j’ai connu, il porte le même nom, et bon nombre des transes de Travis reflètent les miennes, notamment dans le tome 2. C’est suite à ma découverte du chamanisme, au Pérou, lors de mon premier trip solitaire, que l’histoire de Travis a bifurqué vers la jungle et le monde de la plante. Après avoir connu ça, il n’y avait pas de choix possible : mon personnage devait suivre cette voie, pour tenter de se guérir du deuil de sa jumelle, Tyler, et surtout, explorer son esprit, son identité, pour comprendre le sens de son destin, et celui de sa lutte pour devenir un Homme libre. Quand on écrit un ouvrage ayant pour thème central la liberté, et qu’on a soi-même connu une médecine de l’âme qui écartèle la conscience ordinaire pour amener l’Homme à sa transcendance, c’est impossible de ne pas l’évoquer, de ne pas le creuser encore et encore… Et j’ajouterais que c’est un contre-point très important pour le message global de ma saga : on commence avec la drogue, celle qui détruit et vide jusqu’à happer tout sens de la vie, puis on se dirige vers celle qui guérit, celle qui guide, celle qui offre une telle expansion de la conscience qu’elle en vient à changer la face du monde, et de soi-même. Et ça aussi, c’est quelque chose d’autobiographique.
4. Ton récit ne comporte quasiment aucun nom de ville ou de pays, du moins dans ce premier tome. J’avoue que c’est quelque chose qui m’a un peu gênée (voir ma chronique). Peux-tu revenir sur ce choix ?
Je peux comprendre ta gêne, et d’ailleurs ce n’est pas quasiment : il n’y a aucun nom de ville, seuls les Etats-Unis sont cités. L’idée qui préside à ce choix, c’est celle de faire pénétrer le lecteur dans un espace-temps abstrait de toute notion temporelle ou géographique, justement, afin de toucher au cœur de l’histoire, sans interférence, parce qu’il s’agit d’une légende universelle, et que peu importe où elle trouve racine. L’histoire de Travis est celle de tout Homme, de toute jeune personne qui lutte pour rester vivante face à un système qui ne songe qu’à lui pomper la sève pour faire d’elle une machine décérébrée et obéissante. En effaçant le nom des lieux et les dates, je voulais focaliser l’esprit du lecteur sur l’aspect tristement universel de la condition humaine, qui ne varie malheureusement pas selon l’endroit ou l’époque où l’on se trouve. Je comprends ceci dit ce qui te déplaît. Moi-même j’adore les récits du style Sur la route ou Motel Blues où chaque nom de bled est scrupuleusement noté, car ça offre un réalisme génial, mais soyons honnête : cette histoire devait avoir lieu aux States, et jamais, même en consultant Google Earth, je n’aurais pu rendre ce côté vibrant, terre à terre et jouissif, que les écrivains américains offrent à leurs récits. Pour le Pérou, j’aurais pu, mais c’était tout ou rien. Dans ces circonstances, je préfère encore faire une croix sur la totalité.
5. Borderline est riche de questionnements philosophiques. Comment as-tu intégré ces thèmes dans ton écriture ? Ont-ils émergé naturellement ou avais-tu une « liste » de choses que tu voulais aborder ? Y en a-t-il qui te tiennent particulièrement à cœur ?
Tout me tient à cœur. Pas besoin de liste, donc, je me suis contentée d’intégrer mes propres questionnements au moment où ils apparaissaient, avec mes études de philo, au fil de mes lectures, au cours de ma vie. Je me suis astreinte à lire d’obscurs ouvrages indigestes justement parce que j’avais besoin de réponses, d’une façon très personnelle. Et j’ai surtout découvert qu’écrire sur ces sujets, et surtout les intégrer, les faire prendre vie au sein de l’histoire d’un personnage confronté à des expériences troubles, me permettait de réfléchir avec davantage de précision, de sérieux, et d’efficacité, que si je le faisais simplement dans ma tête pour moi seule. Je suis heureuse que tu relèves l’aspect philosophique de cette saga, parce que c’est de ça qu’il est question : un jeune homme qui s’interroge sur le sens de la vie, sur la signification de la lutte qui fait de nous des guerriers au sein de l’absurde, la difficile condition humaine, l’amour, la mort, la liberté. Les sous-titres des ouvrages symbolisent d’ailleurs ce chemin qui part des souterrains de la psyché, territoire des pulsions primaires, immatures, rageuses, pour s’élever vers les niveaux supérieurs de la conscience, le labyrinthe de l’esprit, la caverne de Platon, royaume des illusions, et enfin la surface que l’on crève après d’immenses sacrifices, sans presque plus savoir qui on est, car on a dû renoncer à tout ce qui nous était cher pour être juste… soi-même. Tout Borderline est la route que trace un Homme vers la voie de sa vérité. Et c’est ce qui le rend universel.
6. Comment as-tu géré la construction d’une saga sur 5 tomes (pour l’instant !) ? As-tu tout planifié dès le départ ou t’es-tu laissée porter par le récit ?
Il y a pour le moment 4 tomes (le quatrième est en deux livres qui se complètent tel un miroir), et le cinquième et dernier sortira en 2022. Non, je n’ai rien planifié. Comme je disais, au début j’écrivais juste les divagations d’un jeune paumé sur un trottoir, et petit à petit j’ai déterré le squelette de son histoire. Ce qui m’a pris 15 ans, avant d’enfin combiner tous ces morceaux de textes épars pour en faire un premier livre. J’aime cette construction non chronologique, ces instantanés de vie, de souvenirs, de pensées, qui s’entremêlent en fragments que le lecteur doit mettre en ordre dans son esprit afin de faire face à la fresque d’une existence entière. La seule concession que j’ai faite à cette méthode plutôt freestyle, c’est de travailler les différentes périodes la vie de Travis séparément, avec plusieurs dossiers : toxicomanie, maison de correction, ayahuasca… pour ensuite les dilapider au fil des tomes, en créant une résonance entre les épisodes. Parce que c’est ça, la vie. Parfois on comprend son passé à l’aune du présent, et on entrevoit son futur bien avant qu’il se réalise…
7. Quelles ont été tes influences (littéraires ou non) pour cette saga ?
Je ne vais pas revenir sur mon vécu, donc je vais me concentrer sur mes influences artistiques. La plus importante, celle qui est vraiment fondatrice de mon style, c’est celle de Chuck Palahniuk, dont j’ai suivi la carrière avec avidité depuis Fight Club, que j’ai lu au tout début de Borderline. Vocabulaire simple, propos percutants. Ensuite, Charles Bukowski. Style trash, poésie de la rue et de la misère sociale. Puis Hunter S. Thompson, récits hallucinés, propos incendiaires. Carlos Castaneda, auteur d’une saga initiatique à base de plantes psychotropes. Et enfin Nietzsche, dont j’ai dévoré l’œuvre entière à 17 ans. Aphorismes, pensée au-delà de toute norme, philosophie des profondeurs. Voilà pour la littérature. Ensuite au niveau musical, Marilyn Manson, RATM, Pink Floyd. Et enfin au niveau cinématographique, Jim Jarmusch, le roi de l’errance, Jan Kounen, artiste total et ayahuasquero… La liste serait trop longue. Mais je continue sans cesse de m’imprégner, puisque je passe mon temps libre à lire. Dernièrement j’ai découvert la série Preacher de Garth Ennis, par exemple. Et ça va continuer à travailler là-dedans. Et pour conclure, je fais énormément de recherches pour Borderline, en lisant des ouvrages spécialisés sur le chamanisme et des essais psychologiques ou philosophiques, comme ceux de Carl Jung, pour ne citer que lui.
8. Pourquoi avoir fait le choix de l’autoédition ?
Au départ je n’y tenais pas spécialement, mais en tombant sur le concours des Plumes Francophones sur Amazon, j’y ai vu un signe. J’avais déjà 2000 pages d’écrites et pourtant je n’avais encore rien assemblé. Je me suis dit : Fonce. J’ai compilé le tome 1 et banco. Et je pense que ce choix était le bon. On dira ce qu’on voudra, mais je ne crois pas une seule seconde qu’une maison d’édition aurait parié sur Borderline. Langage parlé, propos choquants, forme erratique. Et plus ça va, plus j’entends que l’édition classique n’est pas la panacée qu’on veut nous faire croire. Et j’ai découvert qu’en réalité, j’adore être seul maître à bord, réaliser mes couvertures selon ma vision, écrire précisément ce que j’ai envie d’écrire, sans personne pour me demander de lisser mon histoire afin de la rendre plus bankable. Je trace ma propre route, en restant droite dans mes bottes, sans compromissions, sans ronds de jambe. Ma réussite, je ne la dois qu’à moi-même, et j’adore ça. Et il se trouve qu’il y a bel et bien un public pour ce que je propose…
9. Comment est-ce que tu as vécu et vis encore ce système d’édition, mais aussi la relation avec le lectorat ?
Je le vis très bien ! Le travail à fournir est colossal, mais la liberté créatrice qu’offre l’art indépendant mérite qu’on y consacre tout son cerveau et toute sa sueur. Et pour peu qu’on se bouge les fesses convenablement, beaucoup de portes peuvent en réalité s’ouvrir… En l’espace de bientôt deux ans, Borderline a trouvé un lectorat dont je n’aurais jamais osé rêver, et je n’ai même pas eu besoin de me fourvoyer pour ça. Simplement, en osant être soi-même, en étant animé de la croyance en la légitimité de son travail, en partageant son univers, aussi étrange soit-il, et surtout en étant passionné, sans chercher à séduire le monde entier par un discours passe-partout (et ennuyeux à mourir, parce que sans substance), les lecteurs nous trouvent, et dans le monde de l’autoédition, leur soutien est infiniment précieux, parce que c’est eux qui laissent des commentaires, des étoiles, chroniquent gratuitement nos ouvrages, en parlent autour d’eux, et font peu à peu grandir une certaine reconnaissance sociale indispensable à toute réussite artistique. Je suis loin d’avoir un réseau immense, mais ceux qui soutiennent mon travail sont très engagés, et je les en remercie profondément.
10. Quels sont tes projets littéraires ? Y a-t-il une vie (d’autrice) après Borderline ? 😉
Ceux qui suivent mon blog savent que les articles épisodes qu’ils aiment seront publiés en livres : le Carnet de Route, journal de bord que j’ai tenu lors de mon premier voyage d’un an en Amérique Latine, et le Carnet d’ayahuasca, qui relate chaque cérémonie faite au cours de ma dernière diète en Amazonie auprès de mon chaman. Voilà pour les ouvrages de non-fiction. Pour le reste, je n’aime pas me projeter trop loin dans le futur, des idées couvent, potentiellement démentes, mais terminer Borderline 5 est ma priorité absolue, et requiert toutes mes pensées, toute ma volonté, toute mon énergie ! Ma vie d’auteure est loin d’être finie, mais je n’en dirais pas plus.
11. Et une dernière question : quelle est ta devise en tant qu’autrice ?
Écris sur ce que tu connais, et fais-le exactement selon ta vision, sans concession aucune. De l’audace, bordel !
Merci beaucoup de ta participation !
Merci à toi Anaïs, c’était un plaisir !
Retrouvez Zoë Hababou en ligne :
Borderline sur Amazon : https://amzn.to/2T37ZSr
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Merci Zoë et Anaïs pour cet interview percutant. Je reste avec le message de Zoë, assumer qui on est et ne pas chercher à plaire à tout le monde. « Écris sur ce que tu connais, et fais-le exactement selon ta vision, sans concession aucune. De l’audace, bordel ! »
Merci de votre message, Caroline ! Ravie que l’interview vous ait plu ! 🙂