Je vous parlais la semaine dernière de son roman C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc que j’ai beaucoup aimé. Je vous propose aujourd’hui d’en apprendre plus sur cet auteur à travers une interview très intéressante !
Né en 1959 dans l’Aveyron, Lilian Bathelot est à la fois auteur et réalisateur (notamment de documentaires et de clips). Avec une vingtaine de livres à son actif, il a tâté à la fois du roman noir, du polar, de la SF, de l’historique et écrit pour la jeunesse. Sa plume a également donné naissance à quelques nouvelles, pièces de théâtre et dramatiques radiophoniques. Son œuvre variée tisse au fil du temps une peinture sociale où l’humanité des personnages est toujours au cœur de l’écriture.
1. Bonjour, Lilian ! Merci d’avoir accepté de répondre à mes questions ! 🙂
Je t’ai découvert à travers ton livre C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc qui est paru fin de l’année dernière chez Pocket. Peux-tu nous raconter un peu la genèse de ce roman (et de son titre !) ?
C’est un mystère, la genèse d’un roman…
« L’Inuit » est né d’une première image qui m’est venue : la lame d’un ulu qui dépeçait un caribou, déjointait les articulations de l’animal, estafilait le cuir, tranchait les chairs, et les tendons en projetant des giclées de sang sur la neige tout autour.
Puis le champ s’est élargi, j’ai su que c’était une main de femme qui tenait le couteau inuit, une jeune femme engoncée dans un anourak en peau de loup.
Prenant du recul, on remarquait qu’elle était seule, perdue au fin fond des immensités vierges du Groenland.
A ce moment, les premiers aboiements de la meute de loups affamés qui fonçait vers elle ont retenti, au loin.
Je me suis efforcé, comme toujours, de jongler avec les mots pour transcrire le plus justement possible toutes les sensations, les émotions, les sentiments que ces images, ce petit film né au fond de mon imagination distillait dans mon être, avec l’espoir de le partager…
La suite s’est écrite de la même manière, c’est ma façon d’écrire, beaucoup plus sensible qu’intellectuelle.
C’est un gros travail. Je dois trimer pour arriver à ce que je souhaite. À une simplicité qui paraisse naturelle et désinvolte. En tissant les ombres et les lumières, des humains, de la nature, du monde.
Le Navire en pleine ville, l’éditeur original de ce livre, et son éditrice Hélène Ramdani aussi géniale que jobastre m’ont accompagné avec talent et amour dans la finalisation de ce thriller humaniste.
Ma chance est que ce livre ait toujours été entouré de beaucoup d’amour et de belles personnes, comme l’éditrice de la dernière version, Charlotte Volper, chez Pocket Imaginaire.
2. Tu as écrit dans de nombreux genres différents. Est-ce que c’est un choix de ta part ou est-ce que tu suis simplement les histoires qui s’imposent à toi ?
J’aime quand ça change…
J’ai souvent changé de maison, de métier, de look, de coiffure, de tout.
C’est à travers tous ces changements que je reste moi.
Je ne suis pas l’auteur qui va réécrire sans cesse le même livre, ou le même genre de livre. J’aime le changement, je suis changement, et cela se transcrit simplement dans mon écriture. J’aime me surprendre moi-même. Mais ce ne sont pas « des histoires » qui s’imposent à moi. Je ne sais jamais ce que mes personnages vont devenir…
C’est à l’écriture de me guider, à ses nécessités d’ouvrir des possibles, à son rythme de donner le tempo, à son foisonnement de créer des surprises.
3. Lorsqu’on parcourt les résumés de tes livres, on devine une forme d’engagement politique ou en tout cas une conscience sociale marquée. Est-ce qu’il est important pour toi de transmettre tes convictions à travers tes œuvres ?
Je n’ai de leçon à donner à personne…
J’écris simplement avec ce que je suis, dans l’espoir d’éveiller quelque écho dans le cœur des femmes et des hommes.
Certes, le monde ne tourne pas comme j’aimerais, ça me travaille et j’écris avec ça.
J’aime les gens, c’est plus fort que moi. Même ceux qui me désespèrent, dès lors qu’ils ont quelque chose d’humain.
En contrepoint, l’injustice me hérisse, et ce monde est injuste. Horriblement injuste, débile et suicidaire…
Et les valeurs d’humanité, d’ouverture, de fraternité, d’amour sont si belles, me sont si douces au cœur.
Quel contraste entre les deux, un contraste dont on doit bien se débrouiller, en prenant partie, sans manichéisme.
J’espère que cela transparaît sous ma plume.
4. Tu es également réalisateur. Pour toi, quelles sont les similitudes et les différences entre les professions de réalisateur et d’auteur ?
Je réalise des films, en effet, mais je ne suis pas réalisateur.
L’industrie du cinéma assigne à chaque profession, et il y en a des dizaines (voir un générique), une fonction bien précise, bien cadrée, limitée.
Je serais bien incapable de trouver une place de réalisateur dans l’industrie audiovisuelle telle qu’elle régente le milieu.
Je suis trop indépendant, trop décalé, j’ai trop besoin de liberté, de fantaisie, de me surprendre moi-même.
J’avance en franc-tireur, je ne mène pas un film comme une machine de guerre, je suis plus doué pour la guérilla, les escarmouches, c’est comme ça que je construis mes films, comme mes livres, en suivant des intuitions, en me prenant à contre-pied.
D’ailleurs, c’est comme ça que je mène tout ce que je fais, la cuisine, la mécanique, la philosophie, l’amour, l’escalade …
5. Quand une histoire commence à prendre forme dans ta tête, à partir de quel moment te dis-tu que ça vaut le coup de se lancer dans le processus d’écriture ?
Quand le banquier m’appelle trop vénère pour me crier dessus… :)))
6. Ta carrière littéraire s’étend sur plus de vingt ans. Est-ce que tu as le sentiment que le monde du livre a évolué ? Si oui, dans quelle direction ?
Mal. Le monde lui-même a mal évolué, l’humain a perdu du terrain au profit de la finance et du contrôle, de la rentabilité sans âme.
Le monde du livre a suivi le même chemin.
Il ne tient qu’à nous, à chacun et chacune de nous, de remettre le monde sur le bon chemin.
Plus d’humanité, moins d’industrie.
L’avenir nous appartient.
7. Si on ne devait lire qu’un seul de tes livres, lequel conseillerais-tu en priorité et pourquoi ?
Impossible de répondre. Chacun est très différent des autres. Ils ne se ressemblent guère, mais tous me ressemblent, à moi.
Nous autres les humains, nous ne sommes pas monolithiques, nous avons mille facettes.
Chacun de mes livres ressemble à une partie de moi. Bien entendu, ils ont un air de famille, quelque chose qui les relie. Les bons jours, je me dis que c’est ma plume, que c’est le reflet de mon être qui donne une unité à cet ensemble hétéroclite.
8. Il t’arrive d’animer des ateliers littéraires. Quel conseil aimes-tu donner aux écrivains débutants ?
Heu… disons que s’ils ont besoin de conseils, je leur conseillerais de faire autre chose. 🙂
En revanche, celles et ceux qui se lancent d’eux-mêmes dans la découverte de l’écriture, je conseille juste d’avoir assez de recul sur leurs textes pour accepter d’essayer de comprendre les critiques négatives des premiers lecteurs à qui on a montré le texte (les critiques positives ne servent à rien, bien entendu, sauf à faire reluire l’ego, ce qui n’est pas désagréable, et toujours bon à prendre… mais ça ne fait pas avancer)
Comprendre donc pourquoi et comment peuvent naître ces retours désagréables. Trouver ce qui les fait naître. Puis décider d’en tenir compte s’ils sont pertinent en tout ou partie… ou ne pas les suivre s’ils sont à côté de la plaque, mais toujours en ayant vu et compris le mécanisme qui les a fait naître… sans perdre de vue que l’on ne peut pas plaire à tout le monde et à sa mère.
9. Quels sont tes projets pour les deux prochaines années ?
Mon temps est dévoré, et le sera pendant les deux ans qui viennent, par l’écriture d’un roman à paraître en 2022 chez 10/18 dans la collection Grands détectives. C’est un scoop, je ne l’ai pas encore annoncé ailleurs (Geronimo et moi, titre provisoire) et la réalisation du film Collapsus Paradise qui me tient beaucoup à cœur. Deux vrais bonheurs !
10. Et enfin, une dernière question indiscrète avant de se quitter : quel(s) livre(s) lis-tu en ce moment ?
Ah ah… J’ai connu des questions plus indiscrètes.
Sur mes tables de chevet (j’ai plusieurs points de chute), j’ai des piles de bouquins. Ceux que j’attrape le plus souvent en ce moment :
Le Temps sacré des cavernes, de Gwen Vidal, une synthèse passionnante sur les connaissances actuelles sur la préhistoire (je m’intéresse à l’histoire de l’archéologie, une discipline que j’invente… :))
Les Contes des mers du Sud, de Jack London, dont je relis aussi, par bribes, Le Cabaret de la dernière chance. Une merveille.
Merci beaucoup de ta participation !
Merci à toi de ton intérêt, Anaïs…
Retrouvez plus d’infos concernant Lilian Bathelot sur son site : http://lilian.bathelot.free.fr/