Mes livres cultes 3 – La Recherche

Je poursuis l’exploration des livres qui ont eu un grand impact sur moi en tant qu’autrice avec un roman-fleuve, ou un ensemble de romans, qu’il n’est nul besoin de présenter, je suppose : A la recherche du temps perdu de Marcel Proust.

recherche proust
C’est l’édition que je possède !

Impossible de résumer en quelques mots un livre-cathédrale qui tient en sept volumes et qui constitue une des œuvres majeures du XXe siècle. Disons, pour faire court, qu’on y suit le récit de la vie d’un narrateur qui ressemble fortement à l’auteur, récit qui prend racine dans l’enfance et ses innombrables méandres. On y trouve une incroyable galerie de personnages, plus ou moins inspirés de personnes réelles, d’innombrables réflexions sur la mémoire, la psychologie, la manière dont les êtres se construisent et se détruisent, le temps, la vie. La simple quantité de travaux universitaires autour de ce livre suffit à en imaginer la richesse, inépuisable même après plusieurs lectures.

J’ai découvert Proust assez jeune et je pense avoir lu le premier volume de La Recherche, intitulé Du côté de chez Swann, avant d’avoir eu vingt ans. J’ai le souvenir d’avoir aimé dès le départ, sans pour autant persévérer dans la lecture de la suite. Quelques années plus tard, j’ai refait une tentative qui, une fois encore, n’a pas dépassé ce premier volume. Je pense que je n’étais pas assez mûre ; parfois on a besoin de grandir, d’évoluer, de se préparer pour aborder certains livres. Finalement, vers trente ans, j’ai lu La Recherche en entier. Et puis je l’ai relu une deuxième fois l’année suivante. Et je pense le relire encore tôt ou tard.

Aujourd’hui, je peux dire honnêtement que La Recherche a été une de mes plus extraordinaires expériences littéraires. Une expérience pas toujours facile, qui a demandé pas mal d’investissement et de patience (moi qui ai l’habitude de papillonner de livre en livre), mais qui, si je ne l’avais pas vécue, m’aurait manqué d’une manière ou d’une autre. Ça paraît peut-être grandiloquent et pourtant c’est exactement ce que je ressens. ^^

Je ne cherche pas à convaincre qui que ce soit de lire La Recherche, Proust n’a plus besoin de pub là où il est et j’admets sans difficulté que son style ne convient pas à tout le monde. Mais si on aime vraiment la littérature, il faut au moins essayer d’aller à sa rencontre, parce que si la connexion se fait, ça en vaut carrément la peine pour de nombreuses raisons.

La première d’entre elles est le style de Proust en lui-même. Ses phrases interminables, labyrinthiques, hypnotiques, et pourtant si justes. Proust a un style unique, reconnaissable au premier coup d’œil, d’une singularité que l’on rencontre rarement. Et surtout, pour moi, Proust est le premier à m’avoir fait ressentir que les mots pouvaient être beaux en eux-mêmes, au-delà de leur sens, simplement par leurs sonorités, leur agencement, leur enchaînement. Je ne suis pas très sensible à la poésie en général, mais certaines phrases de Proust m’ont vraiment fait connaître des plaisirs esthétiques, par leur beauté « visuelle » plus que par leur signification. Autant dire qu’après l’avoir lu, on fait attention à la manière dont on tourne ses phrases. 😉

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La seconde chose qui m’a énormément marquée dans La Recherche, c’est la finesse des analyses psychologiques. On connait tous la fameuse madeleine et la manière dont l’auteur a associé mémoire et perceptions sensorielles, bien avant que la science ne s’y intéresse. Au-delà de cet exemple ultra connu, Proust s’emploie à démonter toutes les mécaniques psychologiques de ses personnages et il le fait avec un tel raffinement, une telle précision, que des échos universels en ressortent forcément. A l’époque où la psychanalyse était encore en plein développement, Proust explorait déjà les mécanismes inconscients à l’œuvre dans nos choix, leurs racines enfantines, leurs conséquences parfois inattendues. Pour moi qui ai fait des études de psychologie et qui n’aime rien tant qu’approfondir le mental de mes personnages, La Recherche est une sorte de graal inatteignable, la quintessence du roman psychologique.

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Il y aurait encore beaucoup à dire sur les raisons qui font de La Recherche une œuvre unique, mais les deux que j’ai citées sont les principales qui m’ont marquée en tant qu’autrice. Et autant le dire tout de suite : La Recherche m’a fait beaucoup de mal dans un premier temps. Je ne suis pas une personne particulièrement ambitieuse ou orgueilleuse, mais j’ai tout de même à cœur de produire une œuvre qui en vaudra la peine. Mais après avoir refermé La Recherche, la première chose que je me suis dite, c’est : à quoi bon ? A quoi bon écrire après ce livre ? A quoi bon tenter d’exister dans l’ombre d’un tel géant ? A quoi bon produire des romans qui seront nécessairement insignifiants en comparaison ?

A la recherche du temps perdu a été un vrai choc littéraire pour moi, ma première (et seule à ce jour) rencontre avec un chef-d’œuvre si total qu’il en devient un idéal inatteignable. Il m’a fallu du temps pour digérer ce choc, pour m’accorder la légitimité d’exister malgré tout en tant qu’autrice, même si je n’aurai jamais le centième du talent de Proust (et peut-être est-ce mieux, car il a sacrifié sa vie à son œuvre). Il m’arrive souvent de complexer face à d’autres auteurs, mais jamais dans des proportions aussi énormes. Toutefois c’est quelque chose que j’ai appris à dépasser, en m’accordant malgré tous mes doutes le droit d’avoir une place dans la littérature. Je n’écrirai jamais La Recherche, mais ça ne signifie pas que mes livres sont sans valeur. Même si j’officie à un petit niveau, j’ai la possibilité de toucher quelques lecteurs, de les faire rêver, de les arracher au quotidien, peut-être même de les faire réfléchir, et c’est tout ce que je demande pour être une autrice satisfaite. 🙂

Et vous ? Avez-vous lu A la recherche du temps perdu ? Est-ce un livre qui vous a marqué-e ? Dites-moi tout en commentaire !

2 réflexions au sujet de “Mes livres cultes 3 – La Recherche”

  1. Bonjour Madame CROS,
    Juste quelques mots pour vous conforter à l’idée que vous m’avez effectivement fait rêver, voyager à travers la lecture de l’eau du Lethé. Alors, certes je suis à des années lumières de votre culture littéraire puisque je me suis mis à la lecture sur le tard mais je peux vous dire que je me suis laissé happer par l’histoire et me suis glissé dans la peau de vos personnages. Au début je me suis interrogé sur les raisons qui on suscité le désir d’avancer dans l’histoire. Je pensais qu’en tant qu’alsacien il y avait peut-être une forme de « chauvinisme » et une certaine réjouissance à reconnaître les endroits où vous nous emmenez et puis j’ai vite compris que c’était un tout et que je prenais énormément de plaisir à me plonger dans cette lecture comme lorsque l’on écoute un prélude de Bach et que l’on se laisse bercer par les notes de musique. Plus d’une fois Je me suis surpris à repousser l’extinction des feux pour poursuivre au plus loin le voyage. Un grand merci pour cette très belle découverte et si vous avez d’autres balades littéraires à me conseiller, je suis preneur.

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    • Bonjour Mr Legrand,
      Merci beaucoup pour votre message qui me touche énormément ! L’écriture étant un exercice plutôt solitaire, c’est toujours très plaisant d’avoir des retours de lecteurs et je dois avouer que le vôtre fait beaucoup de bien à mon petit ego. 😉 Je suis ravie que mon livre ait pu vous transporter et que vous ayez pris du plaisir à sa lecture.
      Pour ce qui est de vous conseiller d’autres balades littéraires, si vous avez parcouru le site, j’imagine que vous êtes tombé sur mes autres ouvrages : https://anaiscros.fr/livres/
      Certains ne sont disponibles qu’en numérique, mais la plupart peuvent également être trouvés en version papier. Dans un genre différent de L’eau du Léthé, Les chemins de traverse vous emmènerait dans une balade plus existentielle : https://anaiscros.fr/livres/les-chemins-de-traverse/
      Et pour ce qui est de vous conseiller des livres d’autres auteurs, c’est très délicat sans connaître davantage vos goûts. J’ai déjà parlé d’American Gods de Neil Gaiman et je parlerai prochainement du cycle de La Tour Sombre de Stephen King, qui sont pour moi deux monuments de l’imaginaire. Si vous ne connaissez pas Salman Rushdie, c’est un auteur que je conseille également, très riche et singulier. En historique, je suis une grande fan de Marguerite Yourcenar et ses Mémoires d’Hadrien. Bref… je vais m’arrêter là parce que ce commentaire risque de devenir aussi long qu’un article. ^^
      Dans tous les cas, je vous remercie encore et je vous souhaite de très belles heures de lecture !
      PS : la suite de L’eau du Léthé devrait paraître à la fin de l’année, n’hésitez pas à vous abonner à ma newsletter pour être tenu au courant. 😉 (formulaire dans le menu latéral)

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